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La notion de « sinistre » suite à l’arrêt Progressive Homes

May 11, 2018

L’arrêt Progressive Homes[1] a eu d’importantes répercussions dans l’industrie de l’assurance de dommages, particulièrement à l’égard des détenteurs et émetteurs de polices d’assurance de responsabilité civile des entreprises, également désignées CGL. La Cour suprême y a en effet étendu la portée des notions d’« accident » (sinistre) et de « dommages matériels ». Bien que certains aient cru y voir un élargissement presque illimité de la notion de « sinistre », certains jugements récents ont exposé certaines limites.

Cette question fut d’abord abordée dans l’affaire Couverture Montréal-Nord rendue par la Cour supérieure du Québec le 6 juillet 2016[2]. Dans cette affaire, l’assuré a procédé à la réfection d’une toiture qui s’est avérée être déficiente. Ainsi, le propriétaire a dû procéder à son remplacement quelques années plus tard, pour lequel il a réclamé le remboursement à l’assuré. Vu le refus de son assureur de le défendre, l’assuré a présenté une requête de type Wellington visant à forcer l’assureur à assumer sa défense. La Cour a rejeté cette demande, concluant que la réclamation ne relevait pas de la portée de la police d’assurance. De fait, elle a conclu que le coût associé à la reprise des travaux n’était pas couvert par une police d’assurance de type CGL. Bien que les motifs du jugement ne soient explicites, la Cour a indiqué qu’il n’y avait pas de sinistre, souscrivant aux motifs d’un jugement qui avait conclu à l’absence de sinistre dans un dossier similaire, et ce, même si celui-ci avait été rendu préalablement à l’arrêt Progressive Homes.

Ce même raisonnement fut appliqué de nouveau par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Syndicat Lofts Wilson[3] rendue le 6 décembre 2017. Dans cette affaire, l’assuré a agi à titre d’entrepreneur général dans le cadre de la rénovation d’un immeuble et sa conversion en copropriété divise. À la fin des travaux, une inspection a révélé diverses déficiences nécessitant des travaux correctifs. Le client a alors poursuivi l’assuré pour plus d’un million deux cent mille dollars, représentant le coût de la correction des déficiences et non-conformités affectant l’immeuble. L’assuré soutenait que la réalisation de ces travaux causerait inévitablement des dommages à l’immeuble, notamment en raison de la nécessité de procéder à l’ouverture des murs. C’est dans ce contexte qu’il a demandé à son assureur de le défendre, ce qui fut refusé par ce dernier. La Cour a fait droit aux prétentions de l’assureur, concluant qu’il n’y avait aucune couverture d’assurance pour les travaux visant à corriger une malfaçon. La Cour a en effet conclu qu’il n’y avait aucun sinistre. La Cour a spécifiquement énoncé que les travaux correctifs résultant de la présence de malfaçon ne pouvaient donner ouverture à une réclamation en l’absence de sinistre.

Le même raisonnement s’applique pour les polices d’assurance résidentielle. En effet, malgré l’arrêt Progressive Homes, les tribunaux québécois ont continué de conclure que la présence d’un vice caché ne suffisait pas à entrainer l’application de la garantie d’assurance en l’absence d’un sinistre[4].

Ainsi, malgré l’interprétation large de la notion de sinistre préconisée par la Cour suprême, il ressort de la jurisprudence récente qu’il ne saurait suffire d’établir que l’assuré n’a ni voulu ni prévu une situation pour faire de celle-ci un sinistre. En effet, encore faut-il que la situation corresponde à la définition même de sinistre, ce qui était le cas dans l’affaire Progressive Homes, où, rappelons-le, les malfaçons alléguées avaient causé des infiltrations d’eau.

 


[1] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, [2010] 2 R.C.S. 245.

[2] Prêtres de Saint-Sulpice de Montréal c. Couverture Montréal-Nord ltée, 2016 QCCS 3221.

[3] Syndicat Lofts Wilson c. 1061 St-Alexandre, 2017 QCCS 5988.

[4] Thériault c. Martin, 2017 QCCS 2939; Chayer c. Perras, 2015 QCCS 3196. 

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