Intact Assurances inc. v. 9221-2133 Québec inc. (Centre Mécatech), 2015 QCCA 916
L’enquête de l’assureur constitue une étape importante dans le processus de réclamation qui s’amorce dès la survenance d’un sinistre. Le Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») prévoit certaines obligations de l’assuré envers son assureur afin de faciliter l’exercice du pouvoir d’enquête qui lui est dévolu. Cette obligation légale est prévue à l’article 2471 C.c.Q. qui énonce :
« 2471. À la demande de l’assureur, l’assuré doit, le plus tôt possible, faire connaître à l’assureur toutes les circonstances entourant le sinistre, y compris sa cause probable, la nature et l’étendue des dommages, l’emplacement du bien, les droits des tiers et les assurances concurrentes; il doit aussi lui fournir les pièces justificatives et attester, sous serment, la véracité de celles-ci.
Lorsque l’assuré ne peut, pour un motif sérieux, remplir cette obligation, il a droit à un délai raisonnable pour l’exécuter.
À défaut par l’assuré de se conformer à son obligation, tout intéressé peut le faire à sa place. »
Formulaires, enquête par un expert en sinistre auprès de l’assuré, enquête auprès de tiers, etc, l’assureur dispose de plusieurs moyens, lesquels ont été réformés au fil du temps par la pratique et par la jurisprudence, afin de recueillir les renseignements nécessaires qui lui permettront de déterminer les circonstances du sinistre et d’évaluer le bien-fondé et l’étendue d’une réclamation. L’un de ces moyens : l’interrogatoire statutaire.
Aujourd’hui reconnu en pratique par les assureurs, la légitimité et les conditions d’exercice de l’interrogatoire statutaire ont néanmoins été remises en question lors des dernières années devant les tribunaux québécois. Toutefois, le débat pourrait être définitivement clos alors que la Cour d’appel, en mai 2015, rendait récemment une décision qui sera plus amplement exposée ci-après.
1. L’interrogatoire statutaire : survol jurisprudentiel
L’interrogatoire statutaire vise principalement à permettre à un assureur d’enquêter sur les circonstances d’un sinistre et d’obliger l’assuré, notamment, à déclarer sous serment tout renseignement entourant le sinistre. À cet effet, L’Honorable André Roy écrivait dans l’affaire Centre de développement familial provincial (1978) inc. c. Axa Assurances inc., 2007 QCCS 4899 :
« Cette obligation de collaborer [au droit de l’assureur d’interroger un représentant de l’assuré] est évidemment stipulée en faveur de l’assureur. Elle vise à permettre à l’assureur, le payeur, de vérifier notamment la réalité du sinistre, les circonstances qui l’entourent, sa cause probable et l’étendue des dommages. »1
Le défaut pour l’assuré de respecter son obligation de collaboration à l’enquête menée par l’assureur pourra provoquer la déchéance de son droit à l’indemnité d’assurance, sous réserve de certains critères d’ouverture.2
En ce sens, les assureurs prétendent que cette obligation légale de collaboration leur permet d’exiger que l’assuré se soumette à un interrogatoire statutaire dans le cadre de leur enquête. En cas de refus, ils peuvent invoquer la négation de couverture.
Néanmoins, tel que l’exprimaient certains auteurs3, des décisions rendues dans les dernières années sont venues confronter la jurisprudence jusqu’alors établie et ont laissé planer un doute quant à la possibilité pour un assureur d’exiger la tenue d’un interrogatoire statutaire conformément à 2471 C.c.Q., sous peine de déchéance du droit de l’assuré à l’indemnité. Cette jurisprudence minoritaire se fondait essentiellement sur des propos de l’auteur Jean-Guy Bergeron :
« L’initiative appartient à l’assureur. L’assuré lui fournit, à sa demande, les informations relatives aux circonstances entourant le sinistre, les pièces justificatives et l’attestation sous serment. L’assureur peut forcer l’assuré à déclarer les circonstances, mais il ne peut le contraindre à un contre-interrogatoire à ce stade du processus de réclamation. »4
[Nos soulignements]
D’abord dans l’affaire Martin-Bédard c. Axa Assurances inc.5, rendue en 2007, puis dans l’affaire Utica Mutual Insurance Company c. Aspler, Goldberg, Joseph Ltd.6, rendue en 2008, la Cour supérieure rendait deux décisions qui venaient aussitôt ébranler les assises de ce principe consolidé depuis plusieurs années. De manière très éloquente, l’Honorable France Martel soulignait dans l’affaire Utica :
« Il est vrai qu’en pratique, l’interrogatoire est un mode retenu par les assureurs afin de connaître les circonstances de la réclamation, mais l’assuré n’a aucune obligation légale de s’y soumettre. »
[Nos soulignements]
L’obligation légale de collaboration de l’assuré à l’enquête menée par l’assureur, au regard de l’interrogatoire statutaire, était définitivement critiquée. Dès lors, ces deux décisions menaient vers un potentiel bouleversement de cette pratique assurantielle.
2. L’affaire 9221-2133 Québec inc. (Centre Mécatech) c. Intact Assurances inc., 2014 QCCQ 1613
Plus récemment, sous l’influence de cette jurisprudence minoritaire, la Cour du Québec rejetait l’argument soulevé par l’assureur à l’effet que l’assuré lui ait causé préjudice en le privant, par son manque de collaboration, de son droit de faire pleinement enquête.
L’assureur soutenait qu’aucune indemnité ne devait être versée compte tenu que le représentant de la demanderesse, lui-même demandeur, avait manifestement refusé d’être interrogé dans le cadre d’un interrogatoire statutaire et ainsi de collaborer à l’enquête.
Malgré que la Cour perçût dans le refus de l’assuré-demandeur de participer à l’interrogatoire statutaire une inférence négative, elle distinguait, d’une part, la demande d’autorisation nécessaire pour permettre l’accès à certains renseignements et, d’autre part, l’interrogatoire de ce même assuré sur les circonstances entourant le sinistre déclaré. À cet effet, l’Honorable François Godbout écrivait :
« D’autre part, si tant est qu’il est vrai, comme le soutient le représentant d’Intact, que l’absence d’un consentement de son assuré ne lui permet pas d’avoir accès à certains renseignements nécessaires pour compléter son enquête, rien ne permet d’affirmer qu’un tel consentement ne peut s’obtenir qu’en interrogeant l’assuré.
Il y a une différence entre demander à un assuré les autorisations nécessaires pour avoir accès à des renseignements pour compléter une enquête et d’interroger ce même assuré sur les circonstances entourant le sinistre déclaré.
La Cour est d’avis qu’il s’agit de deux démarches distinctes, qui peuvent certes être faites en même temps si l’occasion se présente, mais qui peuvent tout aussi bien faire l’objet de demandes séparées dans le temps. »7
Puis, traitant spécifiquement de la question du refus d’un assuré de se soumettre à un interrogatoire concernant les circonstances entourant un sinistre, le Juge Godbout poursuivait :
« L’assureur, ou le mandataire qui agit en son nom, doit, en principe, restreindre sa quête de renseignements aux seuls éléments précisés à cet article, soit toutes les circonstances entourant le sinistre, y compris sa cause probable, la nature et l’étendue des dommages, l’emplacement du bien, les droits des tiers et les assurances concurrentes.
Dans le cas où un assuré informe son assureur qu’il a été victime d’un vol, il y a présomption que cette affirmation est exacte, puisqu’en matière contractuelle, la bonne foi se présume.
L’assureur a plusieurs moyens à sa disposition pour valider cette affirmation ou pour se convaincre du contraire. La cueillette de renseignements est un moyen essentiel et le seul refus d’un assuré de le permettre, avec toute l’ouverture requise, peut justifier à lui seul une décision de ne pas indemniser.
L’interrogatoire de l’assuré est un autre des moyens fréquemment utilisés par les assureurs dans le cadre d’une enquête sur un sinistre déclaré.
Sans nier son apport pour comprendre ce qui a pu se passer, la Cour est d’avis qu’un assuré ne peut pas être obligé de s’y soumettre et un tel refus ne peut justifier à lui seul l’assureur de ne pas indemniser son assuré.
Ce refus est semeur de doute, à n’en pas douter, mais il faut que la preuve démontre, avec le caractère prépondérant requis, la présence d’autres facteurs défavorables à la position de l’assuré qui déclare s’être fait voler un bien.
Ce n’est pas à l’assuré de prouver qu’il n’a pas été volé; c’est à l’assureur de le démontrer. »8
[Nos soulignements]
Conséquemment, la Cour concluait que le refus de l’assuré n’a pas privé sciemment l’assureur de sa possibilité d’obtenir tout autre renseignement pertinent à son enquête, ce dernier bénéficiant de plusieurs autres moyens à sa disposition pour valider la version de son assuré ou se convaincre du contraire. En pareil cas, l’assureur n’avait pas le pouvoir d’exiger la tenue d’un interrogatoire statutaire et puis de nier couverture.
3. La décision d’appel
Dans son jugement rendu en date du 25 mai 2015, la Cour d’appel9, sous la plume de l’Honorable Jacques Chamberland, nous rappelle un principe fondamental issu de l’obligation de l’assuré de collaborer à l’enquête menée par l’assureur : « Il n’appartient pas à l’assuré de décider si une déclaration de sa part est nécessaire, ni de choisir la façon dont l’assureur mènera son enquête ».
De l’avis de la Cour, le droit de l’assureur à une quelconque obligation de la part de l’assuré doit primer sur son pouvoir d’enquête auprès de tiers :
« Avec égards pour le juge de première instance, il est erroné de subordonner le droit de l’assureur à une quelconque obligation de sa part de faire enquête auprès des tiers. Cette façon réductrice d’envisager l’obligation de collaboration permettrait à tout assuré de refuser systématiquement de répondre aux questions de son assureur concernant les circonstances entourant le sinistre, tout en se contentant de fournir les consentements requis pour permettre la cueillette des renseignements pertinents à l’enquête auprès de tiers. »10
Or, la Cour estime que le refus de l’assuré de participer ou de répondre aux questions de l’assureur au regard d’un interrogatoire statutaire constitue un manquement à son obligation de collaboration.
L’assuré qui fait défaut d’honorer son obligation de collaborer à l’enquête menée par l’assureur fait face à une potentielle perte de son droit à l’indemnisation. La Cour ne déroge pas de la jurisprudence à cet égard : l’assureur sera tenu d’établir, d’une part, la mauvaise foi de l’assuré et, d’autre part, que le manque de collaboration lui cause un préjudice, notamment, en le privant de faire pleinement enquête ou d’exercer un recours subrogatoire éventuel. À cet effet, nous convenons de reprendre les propos du Juge Chamberland :
« En l’espèce, je n’ai pas d’hésitation à conclure que le manque de collaboration de M. Cloutier à l’enquête menée par son assureur équivaut à mauvaise foi de sa part. Le fait que l’appelante en a souffert un préjudice ne fait pas de doute non plus, ne serait-ce que parce qu’elle n’a jamais été en mesure de déterminer si son assuré possédait un véritable intérêt d’assurance dans le véhicule. »11
Pour ces motifs, la Cour d’appel infirme ainsi le jugement rendu par la Cour du Québec et rejette l’action intentée contre l’assureur.
Conclusion
Bien que la Cour d’appel dans la présente affaire soit venue légitimer cette pratique des assureurs, déjà reconnue par la jurisprudence antérieure, la controverse à l’égard l’exigence de participer à un interrogatoire statutaire n’est pas terminée pour autant. En l’espèce, les intimés-demandeurs tenteront de poursuivre le débat jusqu’en Cour suprême du Canada alors qu’ils présenteront une requête pour autorisation d’appeler.
Par conséquent, il sera intéressant de porter une attention particulière au dénouement de cet appel, ce qui permettra, peut-être enfin, de circonscrire définitivement l’obligation de l’assuré de collaborer à l’enquête de l’assureur au regard d’un interrogatoire statutaire.
- Centre de développement familial provincial (1978) inc. c. Axa Assurances inc., 2007 QCCS 4899, par. 145. Voir aussi Bonneville c. Prudentielle (La), compagnie d’assurance ltée., [1994] R.R.A. 554 (C.S.).
- Idem.
- Jean-François PICHETTE, « L’interrogatoire statutaire, extension de l’obligation de collaboration de l’assuré », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit des assurances, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009.
- Jean-Guy BERGERON, Précis de droit des assurances, Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke, 1996, p. 197.
- Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., 2007 QCCS 1316.
- Utica Mutual Insurance Company c. Aspler, Goldberg, Joseph Ltd., 2008 QCCS 3811.
- 9221-2133 Québec inc. (Centre Mécatech) c. Intact Assurances inc., 2014 QCCQ 1613, p. 8.
- Ibid., p. 9.
- Intact Assurances inc. c. 9221-2133 Québec inc. (Centre Mécatech), 2015 QCCA 916.
- Ibid., p. 3.
- Idem.