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Les médias sociaux : un outil de gestion ou un risque additionnel à gérer ?

September 17, 2011

L’invention du téléphone à la fin du 19e siècle a marqué l’avènement d’une nouvelle ère de communication. En 2004, plus de deux siècles plus tard, l’introduction de Web 2.0 en a révolutionné les rapports entre les individus et le monde du travail. Le mot productivité a pris un nouveau sens. La popularité des médias sociaux tels, Facebook, Myspace, Google+, Twitter, LinkedIn ou Twitter, permet l’échange instantané d’information, pour le meilleur et pour le pire. Il est maintenant possible d’exprimer en toute liberté, souvent sous le couvert de l’anonymat, ses opinions sur des blogues. Un nouveau vocabulaire est développé et les émoticons sont utilisés pour transmettre ses sentiments.

Cette nouvelle réalité sociale se traduit par d’importants défis au niveau de la gestion des entreprises ainsi qu’au niveau juridique. Le Web et les réseaux sociaux se révèlent certes être une source privilégiée d’information pour certains, mais ils comportent également certains dangers. Parmi les questions soulevées par le présent texte, nous nous interrogerons sur la possibilité d’utiliser l’information recueillie sur Facebook aux fins du processus judiciaire et également sur les conséquences de l’utilisation à mauvais escient des médias sociaux.

1 – Utilisation à des fins judiciaires du contenu d’un profil Facebook

L’adoption de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information1 en 2001 visait à permettre, favoriser et encadrer la preuve par documents technologiques, reconnaissant ainsi le fait qu’ils remplacent de plus en plus le papier dans l’univers virtuel qui est le nôtre.

Ainsi le législateur est venu consacrer le principe de la neutralité juridique d’un document dont la valeur ne peut être diminuée du seul fait qu’un support ou une technologie spécifique a été choisi2. Il s’agit d’un élément important alors que plusieurs entreprises amorcent un virage vers un bureau sans papier. L’intégrité du document devra cependant être respectée, c’est-à-dire qu’il devra être possible de s’assurer que l’information contenue au document n’a pas été altérée. Cette intégrité sera maintenue en tout temps pendant le cycle de vie du document3. Il appartiendra par ailleurs à celui qui entend remettre en doute la validité d’un tel document de le contester puisque la loi prévoit une présomption d’intégrité4.

Il est donc possible d’assimiler l’information recueillie sur le Web ou apparaissant sur un profil Facebook à un simple écrit (un écrit confectionné par une personne pour noter ou communiquer un fait) ou comme un élément matériel (photographie, bande sonore ou visuelle) auxquels les règles usuelles de preuve s’appliqueront.

Ainsi, une preuve qui serait obtenue en contravention du droit à la vie privée sera inadmissible. Ce sera par exemple le cas de courriels obtenus en accédant à la boite courriel d’un témoin sans autorisation5. Cela soulève la question du caractère public ou privé de l’information contenue sur Facebook. Un employeur pourrait-il avoir accès au profil d’un employé? Un assureur peut-il remettre en cause l’invalidité d’un assuré en référant à ses photos Facebook? Est-il possible d’inculper une personne à partir d’informations obtenues sur son mur?

Les tribunaux tergiversent encore et semblent notamment vouloir donner effet à la volonté manifestée par le titulaire du compte Facebook. Ainsi, la personne qui a choisi l’option « privé » sur son profil et qui a limité l’accès à son contenu à uniquement soixante-sept amis verra son profil protégé6 alors que d’autres décisions reconnaissent que ce qui se retrouve sur un profil Facebook ne fait pas partie du domaine privé compte tenu de la longueur de la liste d’amis à laquelle s’ajoute une liste aussi longue, d’amis des amis7.

Pour le reste, le document technologique sera considéré au même niveau que tout autre élément de preuve. Cette preuve devra être introduite en temps utile8 et il sera possible de soulever des objections relativement au ouï-dire9 contenu dans les documents.

Les tribunaux ont donc en guise d’exemple permis à la CSST de contester l’invalidité d’un travailleur dont le profil démontrait qu’il avait participé à des compétitions sportives de haut niveau alors qu’il était en arrêt de travail10, qui écrivait  qu’il aurait « une autre grosse journée le lendemain »11 ou qui s’adonnait à des activités incompatibles à ses blessures alors qu’il était en vacances12. L’utilisation de Facebook a également été permise en matière criminelle13.

Nous retenons donc que sous réserve de l’atteinte potentielle au droit à la vie privée, les tribunaux pourront admettre en preuve, ne serait-ce que pour évaluer la crédibilité des témoins, le profil Facebook d’un individu, ce qui devrait inciter à la prudence les utilisateurs qui croient pouvoir tout partager en étant bien à l’abri derrière leur écran.

2 – L’utilisation à mauvais escient : le droit à l’image

L’utilisation des médias sociaux, que ce soit à des fins personnelles ou pour le travail, exige cependant le respect d’une certaine éthique. Quelques règles devraient être respectées afin de se prémunir contre d’éventuels recours pour diffamation et atteinte à la vie privée. Le droit à l’image fait effectivement partie du droit à la vie privée protégé par la Charte québecoise des droits et libertés de la personne14 .  Ainsi, la publication ou la transmission de photographies sans autorisation peut donner droit à des dommages intérêts15.

La diffusion de fausses informations ou l’usurpation d’identité justifiera également compensation. Ainsi dans Laliberté c. Transit Éditeur inc16, le tribunal a retenu qu’il n’y avait aucune légitimité à emprunter l’identité d’une personne afin de laisser croire que cette dernière était le destinataire de courriels et l’auteur des réponses qui étaient données. Des propos diffamatoires tenus sur un blogue17 ou sur Facebook ont également engagé la responsabilité de leur auteur18.

Ces quelques exemples démontrent l’importance de modérer ses propos et de réfléchir avant d’appuyer sur « envoyer ». Les employeurs pouvant voir leur responsabilité engagée suite à des propos tenus par leurs employés auraient tout avantage à instaurer des politiques claires quant à l’utilisation des divers outils technologiques et à exercer un certain contrôle quant à la mise en œuvre de ces politiques.

Ainsi, en guise de conclusion nous nous permettons d’énoncer certaines de ces règles :

  • Un courriel a la même valeur qu’une lettre. Relisez-vous! Si vous n’étiez pas prêt à signer une lettre de la teneur de votre courriel, ne le transmettez pas.
  • Contrairement à une lettre, un courriel peut pratiquement toujours être retracé. Faites attention à ce que vous écrivez et demandez-vous quelle serait votre réaction si votre employeur en prenait connaissance.
  • Si votre message est délicat ou confidentiel, n’oubliez-pas que le téléphone existe toujours.
  • Une simple conversation téléphonique est parfois beaucoup plus efficace, personnelle et discrète.
  • Sélectionnez attentivement vos « amis » et attention à l’information que vous divulguez même en toute candeur.
  • Assurez-vous d’avoir l’autorisation de diffuser de l’information personnelle sur des tiers ou leurs photographies.
  • Assurez-vous de respecter la propriété intellectuelle d’autrui.
  • Ayez à l’esprit que des tiers peuvent avoir accès à votre profil et que tous ne le font pas avec les meilleures intentions.
  • N’embarquez pas dans des débats houleux qui risquent de mal tourner. En cas de doute ou de mauvaise compréhension, n’hésitez pas à être le premier à vous excuser.
  • Faites que vos commentaires ajoutent une « valeur » à la multitude d’information déjà disponible.
  • Comme employeur, rappelez à vos employés qu’il est important de s’identifier et de préciser leur titre lorsqu’ils interviennent comme représentant de la compagnie.
  • Adopter une politique claire quant à l’usage des divers médias sociaux par vos employés qui couvrira non seulement l’utilisation au travail mais également dans leur vie privée.
  • Les employés doivent en tout temps protéger la confidentialité des clients et de l’entreprise.
  • L’employé qui exprime une opinion sur un produit ou un service de la compagnie devra indiquer clairement qu’il s’agit de son opinion personnelle et que cette dernière ne reflète pas nécessairement celle de l’entreprise.
  • L’employé ne peut, sans autorisation, utiliser le logo de l’entreprise à des fins personnelles.

Lorsqu’il est question de médias sociaux, le jugement demeure encore l’outil par excellence pour se protéger.

1 L.R.Q., c C-1.1.
2 Ibid. à l’article 5.
3 Ibid. à l’article 6.
4 Ibid. à l’article 7 et article 89 Code de procédure civile, L.R.Q., c C-25.
5 9116-8609 Québec inc. c. Sénécal, 2010 QCCS 3308.
6 Schuster c. Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada, 2009 CanLII 58971 (ON SC).
7 Landry et Provigo Québec inc. (Maxi & Cie), 2011 QCCLP 1802 [Landry].
8 Droit de la famille – 102652, 2010 QCCS 4860.
9 Landry, supra, note 7.
10 Brisindi et STM (Réseau des autobus), 2010 QCCLP 4158.
11 Renaud et Ali Excavation inc., 2009 QCCLP 4133.
12 Garderie Les « Chat » ouilleux inc. et Marchese, 2009 QLLP 7139.
13 R.  c. Vaillancourt, 2011 QCCQ 2434; Lévis (Ville de) c. Lachance, 2011 CanLII 2650 (QC CM).
14 L.R.Q., c C-12.
15 Aubry c. Editions Vice-versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591, J.G. c. M.B., 2009 QCCS 2765.
16 2009 QCCS 6177.
17 Corriveau c. Canoe inc., 2010 QCCS 3396 (en appel); Wade c. Diop, 2009 QCCS 350 (appel rejeté), Blanc c. Éditions Bang Bang inc., 2011 QCCS 2624; Prud’homme c. Rawdon (Municipalité de), 2010 QCCA 584; National Bank of Canada c. Weir, 2010 QCCS 402.
18 Thomas c. Brand-u Media inc., 2011 QCCQ 395.

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