Le 30 avril 2013, le ministre québécois de la Justice, Me Bertrand St-Arnaud, a présenté le projet de loi 28, soit la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile. S’il est adopté, ce projet de loi remplacera l’actuel Code de procédure civile du Québec. Outre quelques modifications partielles, dont l’adoption des articles 54.1 à 56.6 C.p.c le 4 juin 20091, ce nouveau projet de loi est la première réforme majeure du Code depuis 1965.
Pour se faire, un grand nombre de spécialistes ont été consultés afin de revoir en profondeur le Code actuel. Ainsi, un avant-projet de loi a pu être déposé à l’Assemblée nationale en septembre 2011, et divers mémoires ont été reçus lors de consultations publiques en janvier 2012. Par conséquent, l’adoption du projet de loi 28 est très attendue par la communauté juridique québécoise.
Le nouveau Code de procédure civile vise à instituer un changement dans l’approche de tous ceux impliqués dans le milieu juridique, en déterminant des objectifs tels que l’accessibilité, la qualité et l’efficacité du système de justice civile, l’application proportionnelle et économique de la procédure, ainsi que la coopération entre les parties.
Le projet de loi propose un ensemble de règles destinées à assurer la réalisation et l’accomplissement de ces objectifs.
En effet, dans un effort visant à améliorer l’efficacité du système de justice civile, le Code débute par la reconnaissance des modes privés et volontaires de prévention et de règlement des différends. Les parties sont désormais tenues de considérer ces méthodes alternatives de résolution de conflits avant de soumettre leur différend devant les tribunaux2, et le projet de loi en souligne notamment les avantages.
Bien qu’il reconnaisse que la mission des tribunaux consiste à faciliter la conciliation des parties, le futur Code s’appuiera évidemment sur de nouvelles dispositions visant à assurer une saine gestion de l’instance et une meilleure divulgation de la preuve, telles que :
- Obliger les parties à coopérer entre elles afin d’arriver à un règlement ou au dépôt d’un «protocole de l’instance» contraignant, dans lequel elles exposeront leurs conventions et engagements, les questions en litige, le déroulement de l’instance, etc. En cas de non-respect de ce protocole, les tribunaux pourront en sanctionner la transgression par l’octroi à l’autre partie des frais de justice engagés et résultant du manquement3. Il est également requis que les parties conservent la preuve, se la communiquent et se tiennent mutuellement informées des faits dans un esprit d’ouverture favorisant un débat juste et équitable4.
- Encourager l’utilisation par les parties d’un expert commun et unique5. Dans le but de sauver temps et coûts, l’utilisation d’un expert commun sera désormais la norme. Les parties souhaitant faire appel à leur propre expert auront besoin de la permission de la Cour pour le faire. L’objectif de la preuve d’expert sera d’éclairer le tribunal et de l’aider dans l’évaluation de la preuve, une mission qui prévaudra les intérêts des parties. Pour atteindre cet objectif, les tribunaux pourront choisir l’expert, définir sa mission, ou forcer les experts ayant des rapports contradictoires à concilier leurs opinions. Notons toutefois que cette nouveauté est hautement contestée et qu’il se peut qu’elle ne fasse pas partie du prochain Code.
- Limiter et réglementer l’interrogatoire préalable au procès6. Encore une fois, afin de sauver temps et coûts, le projet de loi 28 précise que les interrogatoires au préalable ne pourront être tenus que s’ils sont prévus dans le protocole de l’instance. Le projet de loi supprime la distinction entre les interrogatoires avant et après défense. Tous les interrogatoires pourront porter sur les faits pertinents au litige et pourront être conduits de manière orale ou écrite. La conduite d’un interrogatoire écrit est une nouvelle méthode qui permettra à une partie d’élaborer une liste de questions et de la notifier à la partie adverse, ou à une autre personne, qui devra y répondre dans le délai indiqué, lequel ne peut être de moins de 15 jours ni plus d’un mois. Les interrogatoires au préalable ne seront permis que dans les affaires où la demande en justice porte sur la réclamation d’une somme d’argent ou d’un bien dont la valeur est supérieure ou égale à 30 000 $. De plus, ils seront limités à cinq heures, avec une prolongation possible de deux heures, si les parties en conviennent durant l’interrogatoire. Le projet de loi prévoit également que les objections, autres que celles portant sur le fait que la personne interrogée ne peut être contrainte, sur les droits fondamentaux, ou sur une question soulevant un intérêt légitime important, devront être répondues sous réserve, afin de ne pas empêcher la poursuite de l’interrogatoire. Ces objections seront décidées lors de l’instruction.
Par ailleurs, pour faciliter l’accès à la justice, le nouveau projet de loi augmente à 15 000 $ la valeur des affaires pouvant être entendues par la Division des petites créances de la Cour du Québec. La valeur des affaires présentables devant la Cour du Québec augmentera également à 85 000 $7.
Le projet de loi revient sur la notion de dépens. Au lieu d’ajuster les montants accordés par le Tarif des honoraires judiciaires des avocats8, pour les frais d’avocat, le projet de loi 28 l’abroge complètement. Ainsi, chaque partie assumera ses propres honoraires judiciaires et elles ne pourront plus inclure les montants prévus par le Tarif à leur mémoire de frais. Le projet de loi maintient toutefois la règle selon laquelle la partie qui gagne son procès a droit aux frais de justice, à moins que le tribunal n’en décide autrement9. Les frais de justice qui pourront être récupérés par la partie gagnante sont les suivants : les frais et droits de greffe, les frais et honoraires liés à la signification ou à la notification des actes de procédure et des documents, les indemnités et allocations dues aux témoins, les frais d’expertise, la rémunération des interprètes, les droits d’inscription sur le registre foncier ou sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ainsi que les frais liés à la prise et à la transcription des témoignages produits au dossier du tribunal10.
D’autres mesures sont prévues dans le nouveau projet de loi afin de respecter le principe de la proportionnalité. Par exemple, le projet de loi permet et encourage les avocats à procéder oralement, lorsque possible. Il donne également de grands pouvoirs aux tribunaux afin de sanctionner les parties qui ne respectent pas correctement ce principe ou abusent de la procédure, en forçant notamment une partie à payer les frais de justice ou un montant juste et raisonnable couvrant les honoraires professionnels de l’avocat de l’autre partie11.
Parmi les autres modifications du projet de loi 28, il est important de souligner que certaines d’entre elles ont été apportées aux sections relatives aux matières familiales et de la protection de la jeunesse.
De plus, la juridiction territoriale compétente lorsque la demande porte sur un contrat d’assurance sera celle du lieu du domicile ou de la résidence de l’assuré (ou du bénéficiaire), que cette personne soit le demandeur ou le défendeur12.
Les dernières sections du projet de loi stipulent que le nouveau Code sera applicable dès son entrée en vigueur. Malgré cela, les demandes qui auront déjà été déposées pourront continuer à être régies par l’ancien Code pour les questions relatives à l’entente sur le déroulement de l’instance, à la présentation de la demande devant le tribunal (par voie orale ou écrite), ainsi qu’aux délais pour y procéder.
Cette entrée en vigueur immédiate ne laissera pas beaucoup de temps aux avocats et aux autres membres du système judiciaire pour s’adapter à ces changements. Il faut s’attendre à ce que les organisations juridiques, telles que l’Association du Barreau, offrent de la formation relativement aux nouveaux pouvoirs des tribunaux, aux nouvelles règles de procédure ainsi qu’à la nouvelle terminologie utilisée par le Code. Cependant, les avocats n’étant pas familiers avec les méthodes alternatives de résolution de conflits devraient déjà commencer à les intégrer dans leur pratique puisque cela semble être l’avenir de la pratique juridique.
Enfin, il faut noter que la date d’adoption du projet de loi n’est toujours pas prévue. Cela dit, puisque la Commission des institutions tiendra des consultations particulières et des auditions publiques sur cette question en septembre 2013, il est à prévoir que le projet de loi subira d’autres changements avant son adoption finale.
1 Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens au débat public, L.Q., 2009, c. 12 – Une loi adoptée pour permettre un meilleur contrôle des procédures abusives.
2 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, projet de loi n° 28, 1ère sess., 40e légis. (Qc.), art. 1.
3 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 148 à 153.
4 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 20.
5 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 231 et suivants.
6 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 221 et suivants.
7 Les limites sont présentement de 7 000 $ devant la division des petites créances de la Cour du Québec, et de 70 000 $ devant la Cour du Québec.
8 c. B-1, r. 22.
9 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 340.
10 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 339.
11 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 341 et 342.
12 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc. note 2, art. 43.