Maison Jean-Yves Lemay Assurances Inc. v. Bar et spectacles Jules et Jim Inc. 2016 QCCA 1494
La Cour d’appel a récemment été appelée à se prononcer à l’égard des obligations et responsabilités des courtiers et des évaluateurs dans le cadre du renouvellement d’une police d’assurance dommages et faisant suite, entre autres fautes, à une erreur dans l’évaluation de l’immeuble assuré.
Le point saillant est de savoir si le courtier peut être redevable, lui aussi, des dommages subis par un assuré suite à une erreur dans ladite évaluation.
Le contexte
Le Courtier nouvellement responsable du dossier prend contact avec les représentants de Bar et spectacles Jules et Jim inc., (l’« Assurée ») en vue du renouvellement de la police d’assurance dommages arrivant à échéance le 1er juin 2010. Lors de la discussion avec l’Assurée, le Courtier lui recommande de faire procéder à une évaluation de l’immeuble. L’Assurée fait alors appel à Gérard Légaré (l’« Évaluateur »), par l’intermédiaire du Courtier.
Ce n’est donc que le 12 juillet 2010 que l’Évaluateur remet son rapport à l’Assurée, dans lequel il recommande de porter la couverture de 424 000 $ à 565 000 $. Sur demande de l’Assurée, le rapport est également transmis au Courtier entre le 12 et le 16 juillet, mais le Courtier n’en prend connaissance que le 20 juillet. Or, celui-ci doit s’absenter pour ses vacances estivales et, bien qu’il ait demandé à une collègue de transmettre le rapport à l’assureur afin d’augmenter la couverture de l’Assurée, rien n’est fait.
Malheureusement, le 23 juillet 2010, un incendie ravage l’immeuble de l’Assurée et celle-ci reçoit une indemnité de l’assureur représentant le montant maximal de sa couverture, soit 424 000 $. Il s’avère que ce montant est nettement insuffisant puisque l’ensemble des coûts de démolition et reconstruction atteignent plus d’un million de dollars, ce qui n’avait pas été évalué par l’Évaluateur. Les coûts sont admis par les parties.
La décision de première instance
Après une analyse détaillée des obligations du Courtier et de l’Évaluateur et de leur faute respective, le juge de première instance conclut que seul le Courtier est responsable des dommages encourus par l’Assurée, car selon lui, il y a eu un bris du lien de causalité de la faute commise par l’Évaluateur.
Le Courtier a porté ce jugement en appel.
La Cour d’appel
Bien que l’un des juges aurait été d’avis de confirmer la position du juge de première instance, la majorité des juges a accueilli l’appel estimant que la faute du Courtier n’écartait pas la faute de l’Évaluateur et qu’il y avait donc absence d’un novus actus interveniens, entraînant un bris du lien de causalité.
De plus, la majorité a estimé que les fautes du Courtier et de l’Évaluateur sont distinctes et qu’elles donnent droit à des dommages individuels.
Les fautes des professionnels
La Cour d’appel ne revient pas sur les fautes déterminées par le juge de première instance.
Relativement au Courtier, il a été déterminé qu’il a commis les fautes suivantes :
- retard à entamer les démarches en vue du renouvellement de la police;
- défaut de renseignement à l’égard des frais de démolition;
- retard à mandater un évaluateur suite à la demande de l’Assurée;
- défaut d’effectuer un suivi dans le processus d’évaluation;
- omission de traiter avec diligence le rapport de l’Évaluateur.
L’Évaluateur admet les fautes ci-après :
- ne pas avoir considéré qu’une partie de l’immeuble est à usage commercial lors de son évaluation;
- ne pas avoir fait mention des frais de démolition;
- ne pas avoir effectué des recherches relatives aux normes applicables en cas de reconstruction de l’immeuble.
Ces fautes ne lui ont pas permis de faire une évaluation juste qui aurait été de 714 845 $ ainsi que des frais de démolition de 84 020 $.
Le lien de causalité
Les positions divergent dans l’application du lien de causalité.
En effet, le juge de première instance a considéré que la faute du Courtier relativement à son inaction de transmettre le rapport d’évaluation à l’assureur causait un novus actus interveniens qui brisait le lien de causalité entre la faute commise par l’Évaluateur quant à son erreur d’évaluation et les dommages subis par l’Assurée. Conséquemment, le tribunal a estimé que l’intégralité des dommages subis par l’Assurée, c’est-à-dire jusqu’à hauteur de la somme qui aurait dû être assurée, n’eut été de l’erreur de l’Évaluateur, devait être supporté par le Courtier.
Or, l’évaluation ne relève pas de la compétence de ce dernier et la Cour d’appel estime qu’il ne peut donc être tenu responsable des dommages liés à une mauvaise évaluation.
Ainsi, la majorité de la Cour d’appel est venue rétablir l’équité en mentionnant que la principale erreur du Courtier est de ne pas avoir transmis le rapport de manière diligente, mais que même s’il l’avait fait, il n’aurait pas été en mesure de s’apercevoir de l’erreur dans l’évaluation. Conséquemment, la Cour estime que le Courtier doit assumer uniquement les dommages résultant de la différence entre le montant de l’évaluation (525 000 $) et le montant assuré (424 000 $), soit 141 000 $.
Cela dit, quant aux frais de démolition, même si l’Évaluateur aurait dû en tenir compte dans son rapport, cela n’enlève pas l’obligation de conseil du Courtier à cet égard qui aurait alors dû conseiller à son client de les ajouter. Le juge de première instance avait estimé qu’un courtier prudent et diligent aurait conseillé d’ajouter 8 % au montant de la couverture, soit ici 45 200 $, ce que retient également la Cour d’appel.
Relativement à l’Évaluateur, la Cour d’appel conclut qu’il est seul responsable dans la mauvaise évaluation de l’immeuble, laquelle n’a pas été effectuée selon les règles de l’art. En conséquence, celui-ci est responsable de la différence entre le montant de l’évaluation qu’il aurait dû faire incluant les frais de démolition (798 865 $) et celui qu’il a estimé (565 000 $), soit 233 865 $ auquel la Cour déduit le montant payé par le Courtier pour les frais de démolition (45 200 $), laissant un solde de 188 665 $.
Conclusion
La décision de la Cour d’appel est un soulagement pour les courtiers qui se voyaient affublés d’une obligation de renseignement et de conseil extrêmement élargie suite à la décision de 1re instance.
La Cour d’appel est donc venue rétablir les principes de la responsabilité civile édictée par le droit québécois relativement au fait qu’une personne n’est responsable des dommages subis par une autre que s’il existe un lien de causalité directe entre la faute et les dommages.
Également, la Cour d’appel a aussi réaffirmé les rôles et obligations des courtiers et évaluateurs en énonçant que le courtier n’est pas garant de la valeur des biens déterminée par le client ou l’évaluateur.