RETOUR À LA RECHERCHE

Le préjudice subi par l’assureur en raison de l’avis tardif de l’assuré – Les principes et une application contextualisée

August 24, 2020

En matière d’assurance, plusieurs délais régissent les relations entre les parties. Par exemple, suite à un sinistre, l’assuré a l’obligation d’aviser son assureur de la survenance de celui-ci dès qu’il en a connaissance.

Dans les circonstances actuelles et bien que la majorité des provinces à travers le Canada s’affaire à reprendre leurs activités habituelles, il est facile d’imaginer des situations dans lesquelles des assurés n’auraient pas informé leur assureur de la survenance d’un sinistre en temps opportun suite à la fermeture de certaines entreprises pendant une période prolongée ou aux délais supplémentaires causés par la Covid-19.

Quels sont les droits de l’assureur dans de tels cas ? Dans quelles circonstances les assureurs sont-ils justifiés de refuser de couvrir en raison de délais importants entre la date du sinistre et la réception d’un avis de réclamation ?

Afin de répondre à ces questions, nous revisiterons les principes applicables en matière de transmission d’un avis de sinistre en plus d’aborder quelques décisions phares en la matière.

Les principes en matière de transmission d’avis de sinistre

Au Québec, le Code civil du Québec («C.c.Q.») prévoit ce qui suit concernant la transmission d’un avis à l’assureur suite à la survenance d’un sinistre :

2470. L’assuré doit déclarer à l’assureur tout sinistre de nature à mettre en jeu la garantie, dès qu’il en a eu connaissance. Tout intéressé peut faire cette déclaration.

Lorsque l’assureur n’a pas été ainsi informé et qu’il en a subi un préjudice, il est admis à invoquer, contre l’assuré, toute clause de la police qui prévoit la déchéance du droit à l’indemnisation dans un tel cas.

L’article 2470 C.c.Q. se trouve dans la section portant sur l’assurance de dommages, plus précisément sur les dispositions communes à l’assurance de biens et de responsabilité et s’applique donc à ces deux types de contrat d’assurance.

Le deuxième alinéa de l’article 2470 C.c.Q. prévoit que l’assureur ne pourra invoquer la déchéance du droit à l’indemnisation que si la police prévoit cette possibilité. Par ailleurs, l’assureur devra démontrer qu’il subit un préjudice résultant de la transmission tardive de l’avis par l’assuré.

Conformément à l’article 2803 C.c.Q., c’est l’assureur qui aura le fardeau de prouver ce préjudice[1]. Dans l’éventualité où la preuve présentée par l’assureur ne serait pas prépondérante, le tribunal ne reconnaîtra pas la déchéance du droit à l’indemnisation de l’assuré.

L’objectif derrière l’article 2470 C.c.Q.

La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Marcoux c. Halifax Fire Insurance Co.[2], mentionnait que l’avis de sinistre avait pour objectif de permettre à l’assureur de débuter une enquête de manière contemporaine au sinistre. De cette façon, il pourra faire la lumière sur la nature des dommages, la cause du sinistre, retracer et rencontrer des témoins afin d’obtenir leur version des faits, etc… L’avis de sinistre permet également à l’assureur de contrôler les faits, de ne pas être à la merci de l’assuré et de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder ses droits et ceux de l’assuré.

Il est également important de garder en tête les obligations de l’assureur pouvant être enclenchées suite à la réception d’un avis de sinistre, soit l’obligation de défendre et/ou l’obligation d’indemniser puisqu’il s’agit d’éléments déterminants lorsque vient le temps de déterminer si l’assureur a subi un préjudice.

Le préjudice subi par l’assureur

L’obligation de déclarer le sinistre pour l’assuré naît à compter du moment où ce dernier a connaissance du fait dommageable. Toutefois, un délai important avant de transmettre un avis à l’assureur ne constitue pas, en soi, un préjudice pour ce dernier[3].

En effet, dans l’affaire Chabot c. Groupe Ledor inc., mutuelle d’assurances[4], un délai de plus de deux ans et demi séparait la survenance du sinistre de la déclaration à l’assureur. Toutefois, la Cour du Québec indiqua que malgré la tardiveté de l’avis transmis par l’assuré, l’assureur n’avait subi aucun préjudice. La situation de l’assureur relativement à l’indemnisation de son assuré aurait été identique, que celui-ci ait été informé dès la survenance du sinistre ou près de 3 ans plus tard. La décision rendue dans l’affaire St-Cyr c. Gosselin[5] par la Cour du Québec est au même effet. Bien que l’avis de sinistre soit tardif, le tribunal a conclu que l’assureur n’avait subi aucun préjudice et ne pouvait donc prétendre à la déchéance du droit à l’indemnisation de l’assuré.

Toutefois, certains jugements fournissent de bonnes explications relativement aux éléments pouvant être considérés comme un préjudice pour l’assureur. À ce sujet, dans la décision Rosenstein c. Guarantee Company of North America[6], les demandeurs, immédiatement après avoir conclu un règlement hors cour dans le cadre d’un recours entrepris contre une enseignante et une commission scolaire, ont manqué à l’obligation de confidentialité prévue dans cette même entente en s’adressant aux médias. L’enseignante entreprit alors un recours contre les demandeurs en raison des commentaires transmis aux journalistes. Le 30 juillet 2010, un jugement fut rendu contre les demandeurs. Ceux-ci ne transmirent un avis de sinistre à leur assureur que suite au rejet de leur demande de permission d’appeler à la Cour suprême. Suite à la réception de l’avis de négation de leur assureur, les demandeurs entreprirent un recours à l’encontre de Guarantee Company of North America. La Cour supérieure conclut que l’avis de sinistre transmis par les demandeurs était tardif, celui-ci ayant été transmis plus de trois ans après la poursuite de l’enseignante. Ce délai a eu pour effet de causer un préjudice important à l’assureur en l’empêchant d’établir les réserves appropriées, d’effectuer une enquête, de mandater un avocat afin d’implanter une stratégie et d’effectuer une contre-expertise. Le moyen de défense de l’assureur basé sur l’avis de sinistre tardif fut donc accueilli.

La décision rendue dans l’affaire Axa Boréal Assurances Inc. c. Université Laval[7] fournit un autre exemple où le préjudice subi par l’assureur a entrainé la déchéance du droit à l’indemnisation. Dans cette affaire, un étudiant avait entrepris un recours à l’encontre de l’Université Laval alléguant avoir subi un préjudice moral découlant d’une mésentente académique. L’Université Laval ne transmit un avis à l’assureur que suite au rejet de cette action tout en lui réclamant les frais et les honoraires de ses avocats. L’assureur nia couverture et invoqua que l’avis de sinistre tardif lui avait causé un préjudice. De son côté, l’assuré souleva qu’ayant eu gain de cause dans le cadre du recours entrepris par l’étudiant, l’assureur n’avait subi aucun préjudice. La Cour d’appel mentionna que cette approche de l’assuré était réductrice. Le délai de quatre ans avant d’informer l’assureur lui avait effectivement causé préjudice puisqu’il avait été privé de l’exercice des droits se rattachant à l’obligation de défendre, l’assureur n’ayant pu choisir ses avocats, déterminé l’orientation de la défense et ayant été priver de l’opportunité de régler ce dossier.

Ainsi, le seul écoulement du temps ne constitue pas un préjudice au sens de l’article 2470 C.c.Q. Par contre, le fait de ne pas être en mesure d’évaluer les dommages, les difficultés relatives à l’enquête ou à déterminer la cause du sinistre, l’impossibilité d’examiner les biens ou les lieux, l’impossibilité de mandater des avocats ou des experts en sinistre et le fait de ne pas être en mesure de régler le dossier[8] peuvent constituer un préjudice suffisant.

Pistes de réflexion

En terminant, l’assureur doit soulever la tardiveté de la déclaration de sinistre rapidement. En effet, comme mentionné dans Bédard c. Royer[9], l’assureur ne peut laisser croire à l’assuré qu’il n’a subi aucun préjudice en recevant un avis de sinistre tardif pour, par la suite, soulever la déchéance du droit à l’indemnisation prévue à l’article 2470 alinéa 2 C.c.Q.

Comme nous l’avons mentionnée au départ, dans les circonstances actuelles, il sera intéressant de voir comment les tribunaux analyseront la question de la tardiveté de l’avis de sinistre et du préjudice subi par l’assureur. Les tribunaux tiendront-ils compte de la fermeture pendant une période considérable de certaines entreprises lors de l’évaluation des délais? Les assureurs auraient-ils eu accès à leurs ressources habituelles pour évaluer le sinistre déclaré par l’assuré? Quel serait l’impact d’une deuxième vague de la pandémie de la Covid-19 sur les notions de délais et de préjudice afférents à l’article 2470 C.c.Q.?

Toutes ces questions sans réponse nous portent à croire que la situation actuelle pourrait avoir un impact sur les décisions traitant de l’article 2470 C.c.Q., mais également sur les concepts similaires à travers le Canada.

 

 

[1] Soprema inc. c. Gerling Global Cie d’assurances générales, [2004] J.Q. no 4538 ; RCM Modulaire inc. c. Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances, 2017 QCCS 1850.

[2] Marcoux c. Halifax Fire Insurance Co., [1948] R.C.S. 278.

[3] Bédard c. Royer, 2003 CanLII 74933 (QCCA) ; RCM Modulaire inc. c. Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances, 2017 QCCS 1850.

[4] Chabot c. Groupe Ledor inc., mutuelle d’assurances, 2011 QCCQ 7697.

[5] St-Cyr c. Gosselin, 2011 QCCQ 16076.

[6] Rosenstein c. Guarantee Company of North America, 2015 QCCS 5672.

[7] Axa Boréal Assurances Inc. c. Université Laval, 2003 CanLII 40224 (QCCA).

[8] RCM Modulaire inc. c. Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances, 2017 QCCS 1850.

[9] Bédard c. Royer, précité note 3.

Ne manquez pas les derniers développements en droit canadien des assurances

LIRE LA SUITE