L’automobiliste québécois vit depuis près de 35 ans dans un monde bien particulier en ce qui a trait à la responsabilité civile découlant de l’usage d’un véhicule automobile. Le régime légal de responsabilité sans égard à la faute en matière de préjudice corporel et la convention d’indemnisation directe pour les dommages matériels créent une bulle de sécurité financière pour le résident du Québec et il est souvent facile de perdre de vue qu’il existe une autre réalité au-delà des frontières de la province.
Or, un accident impliquant un automobiliste québécois qui survient à l’extérieur de la province de Québec soulève plusieurs difficultés sur le plan juridique. Il en va de même pour le conducteur étranger qui est impliqué dans un accident au Québec. Nous tenterons donc de faire la lumière sur ces deux situations.
1 – La situation légale au Québec
Au Québec, la Loi sur l’assurance automobile1 (ci-après « LAA ») encadre les conséquences d’un accident impliquant un véhicule automobile au sens de la LAA. La Cour suprême2 a récemment réitéré qu’il faut interpréter largement la LAA et a conclut que le décès d’un conducteur d’un véhicule automobile survenu lorsqu’un arbre s’est abattu sur ledit véhicule automobile devait faire l’objet d’une indemnisation en vertu du régime de la LAA.
En ce qui a trait aux blessures corporelles, la victime qui subit un préjudice causé par une automobile sera indemnisée par la Société de l’assurance automobile du Québec (ci-après « SAAQ ») sans égard à la responsabilité de quiconque3. La LAA prévoit le paiement d’une indemnité de remplacement de revenu4, le remboursement de certains frais médicaux5, une compensation pour le préjudice non pécuniaire6 et une indemnité payable en cas de décès de la victime7. Les indemnités prévues à la LAA tiennent lieu de tout recours pour la victime8.
La Loi ne confère cependant aucune immunité au conducteur québécois ou au propriétaire de véhicule immatriculé au Québec, s’il s’aventure au-delà des frontières de la province.
Ce dernier devra d’ailleurs obligatoirement détenir une police d’assurance responsabilité civile automobile qui couvrira sa responsabilité pour les dommages matériels au Québec et pour les dommages matériels et corporels ailleurs au Canada et aux États-Unis9. Le montant d’assurance obligatoire est cependant limité à 50 000 $10, ce qui est bien peu compte tenu des risques de poursuites potentielles ailleurs sur le continent. La police d’assurance automobile émise au Québec est par ailleurs un formulaire standard dont le contenu est imposé par le législateur.
Enfin, en ce qui a trait aux dommages matériels causés par une automobile au Québec, les principes généraux de la responsabilité civile s’appliquent sous réserve de certaines présomptions visant à faciliter le recours de la victime. Ainsi, le propriétaire de l’automobile sera présumé responsable du préjudice matériel11 causé par son véhicule solidairement avec le conducteur de celui-ci12.
Nous ne pouvons passer sous silence la Convention d’indemnisation directe (ci-après « Convention »)13 intervenue entre les assureurs automobile au Québec qui dénote, encore une fois, la volonté du législateur d’éviter des litiges en matière d’accident d’automobile. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’un accident qui tombe sous l’égide de la Convention, telle une collision entre deux véhicules, la réclamation du propriétaire devra être adressée à son propre assureur responsabilité civile14. Ce dernier paiera son propre assuré dans la mesure de la responsabilité des autres conducteurs des autres véhicules impliqués et à la place de ces derniers selon un barème pré-établi15.
2. Le Québécois victime d’un accident à l’étranger
Les automobilistes québécois traversent de plus en plus souvent les frontières de la province, que ce soit pour une petite vacance en famille sur les plages du Nouveau-Brunswick, quelques mois sous le soleil de la Floride ou une petite escapade en Ontario. Peu réalisent que ce faisant, ils viennent de traverser dans un autre horizon juridique.
a. Le Québécois victime de l’accident
Le législateur québécois a généreusement accordé une portée extra-territoriale à la LAA. Ainsi, le Québécois victime d’un accident à l’étranger pourra choisir de réclamer une indemnisation de la SAAQ comme si l’accident était survenu au Québec.
La victime conserve cependant le droit de poursuivre directement le responsable de l’accident conformément aux lois en vigueur au lieu de l’accident16. Si, toutefois, la victime a reçu une compensation de la SAAQ, ce recours n’existera que pour l’excédent, la SAAQ étant légalement subrogée dans les droits de la victime jusqu’à concurrence de l’indemnité versée. Ce recours subrogatoire ne pourra cependant être exercé contre le tiers responsable que dans la mesure où ce dernier n’est pas un résident de la province de Québec17.
Le droit applicable à la détermination de la responsabilité sera normalement celui du lieu de l’accident bien que des questions juridictionnelles peuvent se soulever quant à l’endroit où le recours pourrait être entrepris (lieu de l’accident, lieu de domicile du responsable, etc.), laquelle question devra être résolue selon les règles de droit international privé applicables.
b. Le Québécois responsable de l’accident
Le Québécois responsable d’un accident hors province sera soumis aux règles de droit applicables au lieu de l’accident et pourra donc faire l’objet d’une poursuite de la part de la victime, sujet aux règles de droit international privé.
Il importe de souligner que le conducteur québécois ne bénéficie d’aucune immunité à l’encontre d’une poursuite par la victime du fait du système de responsabilité sans égard à la faute existant au Québec. Ainsi, le conducteur québécois qui blesse un piéton québécois en Floride pourra faire l’objet d’un recours en Floride.
Au niveau de la protection d’assurance, il bénéficiera de la protection offerte par sa police d’assurance responsabilité civile qui le couvrira soit pour le minimum prescrit de 50 000 $ ou pour la limite contractuelle choisie. Notons que les lois de certaines provinces ou de certains états prescrivent des montants d’assurance responsabilité obligatoires plus élevés et que la police émise au Québec sera alors présumée couvrir jusqu’à concurrence de ce montant d’assurance minimal prescrit au lieu de l’accident.
3. Le conducteur « étranger » qui est impliqué dans un accident au Québec
Nous remarquons également sur nos routes de plus en plus de véhicules immatriculés dans d’autres provinces ou d’autres états. Nous n’avons qu’à songer aux nombreux poids lourds qui traversent nos frontières. Nous pouvons donc nous interroger sur la situation juridique qui naitra d’un accident survenant au Québec et impliquant un véhicule « étranger ».
a. La victime « étrangère » prend place dans un véhicule immatriculé au Québec
Le conducteur et les passagers d’un véhicule immatriculé au Québec sont, de par l’effet de la LAA, considérés comme étant résidents au Québec18. Ce sera le cas du touriste qui loue un véhicule immatriculé au Québec.
À ce titre, ils devront se prévaloir des indemnités payables par la SAAQ et seront indemnisés sans égard à leur responsabilité. Le paiement de ces indemnités tiendra lieu de tout recours et ils ne pourront poursuivre le tiers responsable de l’accident au Québec, s’il s’agit d’un résident québécois.
b. L’accident implique un véhicule immatriculé hors province
La situation sera différente si la victime non résidente du Québec prenait place dans un véhicule immatriculé dans une autre province, par exemple. Dans ce cas, l’article 9 de la LAA prévoit que, sous réserve d’entente particulière avec la juridiction du lieu de résidence de la victime, cette dernière sera indemnisée par la SAAQ, mais seulement dans la proportion où elle n’est pas responsable de l’accident, la responsabilité étant déterminée selon les règles du droit commun et à la lumière des présomptions prévues aux articles 108 à 114 LAA.
La SAAQ qui indemnise une victime d’un accident survenu au Québec dont serait responsable un conducteur étranger dispose par ailleurs d’un recours subrogatoire contre ce conducteur, dans la proportion où ce dernier est responsable de l’accident19.
Conclusion
Les accidents automobiles demeurent, ailleurs qu’au Québec, l’une des principales sources de litige. Non seulement ces réclamations peuvent-elles donner lieu à d’intéressants débats sur la responsabilité et les dommages, mais elles sont susceptibles de soulever des problèmes intéressants de juridiction.
Le résident du Québec, qu’il se trouve dans sa province ou à l’étranger, est privilégié car il bénéficie de la générosité du législateur québécois pour compenser ses propres dommages corporels. Il n’est donc pas à la merci de la santé financière du responsable ou des particularités légales d’une autre juridiction. Il lui appartiendra cependant de veiller à sa propre sécurité afin de se protéger financièrement contre d’éventuelles poursuites de tiers s’il choisit de s’aventurer au-delà des frontières de sa province.
1 Loi sur l’assurance automobile, L.R.Q., c. A-25.
2 Westmount (Ville) c. Rossy, 2012 CSC 30.
3 Article 5 LAA.
4 Articles 13 à 59 LAA.
5 Articles 79 à 83.32 LAA.
6 Articles 73-76 LAA.
7 Articles 60-71 LAA.
8 Article 83.57 LAA.
9 Article 85 LAA.
10 Article 87 LAA.
11 Article 108 LAA.
12 Article 109 LAA.
13 Convention d’indemnisation directe pour le règlement des sinistres automobiles, c. A-25, r.4.
14 Article 116 LAA.
15 Article 4 de la Convention.
16 Article 7 LAA; Lucas Litigation Guardian of c. Gagnon (1994) 3 SCR 1022.
17 Article 83.60 LAA.
18 Article 8 LAA.
19 Article 83.61 LAA.