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Agir de bonne foi : une obligation supplémentaire pour les assureurs

May 25, 2022

De manière générale, la bonne foi doit gouverner la conduite de toute personne. On ne peut exercer ses droits de manière à nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable[1]. Dans le domaine de l’assurance, ce critère est rehaussé ; on évoque alors le concept de la « plus haute bonne foi ». Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on rappelle l’objectif d’un contrat d’assurance, c’est-à-dire de fournir une « tranquillité d’esprit »[2]. L’assureur ne peut ignorer les conséquences désastreuses que représente pour l’assuré un refus injustifié de verser les indemnités prévues au contrat[3].

Mauvaise foi : l’interprétation des tribunaux

Bien que la mauvaise foi ne soit pas définie, les tribunaux se sont tout de même prononcés quant à certains comportements jugés fautifs susceptibles d’entraîner une condamnation à des dommages moraux, parfois à des dommages punitifs.

En 2021, la Cour supérieure, dans Bédard Martin c. Intact, rappelle le prisme à travers duquel la Cour suprême a évalué le comportement de l’assureur. L’assureur doit traiter la réclamation de son assuré de façon équitable, et ce, tant lors de la phase d’enquête et d’évaluation de la réclamation que lors de la décision de payer ou non. Le tout, sans retarder ou refuser indument un paiement afin de tirer profit de la vulnérabilité financière de l’assuré ou dans le but de se positionner en rapport de force dans la négociation d’un règlement. En revanche, dans l’éventualité où l’assureur fonde sa décision sur une interprétation raisonnable de ses obligations, mais qu’il s’avère avoir tort, ce n’est pas nécessairement un acte de mauvaise foi. En l’absence de tels comportements de mauvaise foi ou d’intention malicieuse, il s’agirait plutôt d’une faute contractuelle résultant du non-paiement d’indemnités.[4]

Dans cette décision, un incendie survenu en 2003 au restaurant de l’assurée a causé la perte totale de celui-ci et de son kiosque de fruits et légumes. L’incendie fut qualifié de criminel. Par la suite, lors d’un procès en 2006, la Cour supérieure conclut qu’une présomption existait à l’effet que l’assurée était l’auteur de l’incendie. Suivant cette décision, on ne peut conclure que l’assureur a agi de mauvaise foi en n’indemnisant pas son assurée. Pourtant, en 2013, c’est une tierce personne qui est mise en accusation pour l’incendie. L’assureur, assujetti au devoir constant d’enquête, n’a pas revu les éléments contenus au dossier d’accusation de la tierce personne. Sa faute est ainsi retenue pour ne pas avoir versé les indemnités à son assurée, à partir de 2013.

Dans la décision Bergeron c. Promutuel Lac St-Pierre-Les Forges, l’enquêteur de l’assureur a outrepassé la portée de son mandat en laissant entendre aux assurés qu’en retirant certains items litigieux de la liste de biens volés, ils en viendraient à un règlement plus rapide de leur réclamation. Vu cette perspective et l’insistance de l’enquêteur, les assurés ont donné suite à ses conseils et ont soustrait les biens litigieux de la liste. Du même souffle, l’enquêteur les a poussés à compléter une déclaration mensongère quant aux biens retirés. En revanche, au moment de rédiger son rapport à l’assureur, il suggère que ce retrait constitue un aveu des assureurs, tout en concluant qu’aucun motif ne justifie le rejet total de leur réclamation. Néanmoins, l’assureur, en se basant sur les impressions et recommandations de l’enquêteur, et sans approfondir davantage son enquête, choisit de leur faire subir un interrogatoire statutaire, alors que la valeur en litige ne permettait pas un interrogatoire au préalable dans le cadre des procédures. Les assurés furent interrogés séparément, de façon contraire à leur droit et à répétition, sans leur donner copie des déclarations faites à l’enquêteur. On aussi refusé de leur communiquer la transcription des interrogatoires statutaires. L’assureur était à la recherche de contradiction entre les versions des assurés, mais a il a fait fi d’informations favorables aux assurés, notamment celle relative au rejet de l’hypothèse du vol simulé. Or, cette hypothèse, plaidée dans sa défense, avait pourtant été exclue dès le début de son enquête. La Cour conclut ainsi que l’assureur a agi de façon arbitraire, hostile, excessive, déraisonnable, d’une manière qui porte atteinte aux droits des assurés, qui est contraire aux intérêts de la justice et qui est contraire à l’obligation d’agir de bonne foi.[5]

Plus récemment, dans l’affaire Cohen c. Lloyds Underwriters, il fut déterminé qu’un délai de plusieurs mois non justifié à confirmer la couverture d’assurance, alors que l’assurée se retrouvait en situation financière vulnérable, en sus de ne pas respecter la garantie de maintien du niveau de vie de l’assurée et de laisser sa résidence dans un état déplorable, constituent une atteinte au droit à la jouissance paisible. Au surplus, par du sarcasme, de la condescendance et un manque d’empathie à l’égard de l’assurée, la Cour conclut à une atteinte à son droit à la dignité. Au surplus, la Cour qualifie d’abus et de détournement des fins de la justice le fait pour un assureur de tenter d’épuiser, par différentes procédures, l’assurée afin qu’elle abandonne son recours ou consente à régler pour un montant moindre.[6]

Les sanctions à la mauvaise foi

Versement des indemnités d’assurance

Comme mentionné, l’obligation d’agir avec la plus haute bonne foi se distingue d’un manquement à une obligation contractuelle[7]. Le fait pour l’assureur de commettre un manquement contractuel n’entrainera pas de condamnation à des dommages sur une base extracontractuelle si une faute distincte de ses obligations prévues au contrat n’est pas commise[8]. Il devra tout de même verser les indemnités auxquelles il s’était initialement engagé dans les 60 jours, en sus de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle[9].

Dommages et intérêts

Un manquement à l’obligation d’agir selon la plus haute bonne foi par l’assureur peut donner lieu à une réparation dans le but de compenser le préjudice direct, certain, prévu ou prévisible, qu’il soit corporel, moral, ou matériel[10], à l’assuré par la faute de l’assureur.

Dommages moraux

À ce titre, les tribunaux ont octroyé des dommages et intérêts afin de compenser, notamment un stress important, des troubles de sommeil, de l’anxiété et le sentiment d’injustice que peut vivre un assuré[11]. Ils ont, de plus, jugé opportun de compenser une atteinte à la dignité des assurés et à leur réputation ainsi que des difficultés occasionnées sur une période de trois ans, soit de 2007 à 2010[12]. Par ailleurs, fut compensé le fait d’avoir laissé les assurés à eux-mêmes les forçant ainsi à entreprendre plusieurs démarches comme retenir les services d’un expert et d’un avocat ainsi que la charge d’assurer le suivi de leurs dossiers avec différents intervenants[13]. Les tribunaux ont aussi donné suite à une compensation pour préjudice moral lorsque la faute empêche un assuré de reprendre son niveau de vie antérieur, ne peut exercer son choix de reconstruire sa résidence, vit de l’insécurité et du stress additionnel suivant la perte de sa maison[14].

Honoraires extrajudiciaires

Lorsqu’il y a un abus du droit d’ester en justice, soit lorsqu’une faute est commise à l’occasion d’un recours judiciaire, par exemple, par la multiplication de procédures ou le prolongement sans fondement du débat judiciaire[15], l’article 54 du Code de procédure civile permet au tribunal, lorsqu’il se prononce sur le caractère abusif d’une demande ou d’une procédure, d’ordonner le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance ou de condamner une partie à des dommages et intérêts à titre de compensation des honoraires et débours extrajudiciaires encourus et même attribuer des dommages punitifs.

Concrètement, cela peut survenir lorsqu’un assuré se voit contraint de payer inutilement des honoraires et débours à son avocat[16] ou lorsque le comportement de l’assureur vise à épuiser l’assuré afin qu’il abandonne sa poursuite (ou règle pour un montant moindre)[17], par exemple.

Par ailleurs, ce seront les montants payés par l’assuré tout au long de la conduite abusive et empreinte de mauvaise foi qui pourraient lui être accordés[18].

Dommages et intérêts punitifs

Au surplus, en cas de mauvaise foi, l’assureur peut être condamné à verser des dommages et intérêts punitifs suivant l’article 1621 C.c.Q. Ceux-ci ne peuvent être octroyés que lorsque la loi le prévoit, par exemple dans le cas des articles 51 et 54 du C.p.c. ou en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne.

En vertu de la Charte, il ne sera fait droit à de tels dommages que si l’atteinte aux droits qu’elle garantit est illicite et intentionnelle ; soit lorsque son auteur souhaite causer les conséquences de sa conduite fautive ou s’il agit en étant conscient des conséquences de celle-ci. Cette conduite doit dépasser une insouciance même téméraire.[19]

En revanche, l’abus du droit d’ester peut aussi donner lieu à des dommages et intérêts punitifs, suivant les articles 51 et 54 C.p.c. et ce, sans qu’il ne faille prouver d’atteinte illicite et intentionnelle. Il suffit de démontrer que la procédure est employée dans le but de nuire à autrui.

Sanctions non exclusives et couteuses

Dans la décision Bergeron c. Promutuel Lac St-Pierre-Les Forges, l’assureur est condamné au paiement de 5 481,96 $ à titre d’indemnité d’assurance, 2000 $ à titre de dommages-intérêts moraux compensatoires, 5 000 $ à titre de dommages-intérêts pour honoraires et débours extrajudiciaires ainsi que 10 000 $ à titre de dommages punitifs, en sus de l’intérêt légal et de l’indemnité additionnelle.

Dans la décision Cohen c. Lloyds Underwriters, l’assureur est condamné à verser la somme de 517 140 $ à titre d’indemnité d’assurance, dont 20 987 $ sont reliés à la perte en capital sur la résidence de l’assurée. En effet, l’assureur interrompt le remboursement du solde hypothécaire momentanément, alors qu’il avait décidé de le prendre en charge. Ceci occasionne des intérêts et des pénalités qui entament le capital de la résidence, chose qui ne se serait pas produite si l‘assureur avait laissé l’assurée se charger du remboursement. En outre, le Tribunal accorde 70 000 $ à titre de dommages-intérêts, 10 000 $ à titre de dommages punitifs ainsi que 55 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires, en sus de l’intérêt légal et de l’indemnité additionnelle.

Enfin, dans l’arrêt Bédard Martin c. Intact, c’est une somme de 75 000 $ qui est accordée à titre de dommages compensatoires pour le préjudice psychologique ainsi que la somme de 6 071 $, avec l’intérêt légal et de l’indemnité additionnelle pour la perte de bénéfice découlant de la perte du restaurant et du kiosque de fruits et légumes par l’incendie.

 

[1] Art. 6, 7 et 1375 Code civil du Québec.

[2] Barrette c. Union Canadienne, compagnie d’assurances, 2013 QCCA 1687, par. 69 à 71 ; Cohen c. Lloyds Underwriters, 2019 QCCS 826, par. 159.

[3] Bergeron c. Promutuel Lac St-Pierre Les Forges, 2010 QCCQ 5595, par. 1.

[4] Whiten c. Pilot, 2002 CSC 18 et Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30 cités dans Bédard Martin c. Intact, compagnie d’assurances inc., 2021 QCCS 3964, par. 141-143

[5] Id., par. 69 et s., 119, 145, 151, 155, 174, 179, 298, 303, 305, 310, 312-321

[6] Cohen c. Lloyds Underwriters, préc., note 2, par. 80, 176 et 185 et s.

[7] Id.

[8] P. R. c. RBC, compagnie d’assurance-vie, 2009 QCCS 4899, par. 258 cité dans Lamarre c. Intact Insurance Company, 2021 QCCQ 5163, par. 80.

[9] Bédard Martin c. Intact, compagnie d’assurances inc., préc., note 4 et art. 2473 C.c.Q.

[10] Art. 1458, 1607, 1611, 1613 du Code civil du Québec.

[11] Bédard Martin c. Intact, préc., note 4, par. 438.

[12] Bergeron c. Promutuel Lac St-Pierre Les Forges, préc., note 3, par. 336.

[13] Lacoursière c. Promutuel, 2021 QCCQ 7655, par. 176 et 177.

[14] Cohen c. Lloyds, préc., note 2, par. 168 et s.

[15] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120, par. 75 et s. sur la notion d’abus du droit d’ester en justice par opposition à l’abus sur le fond.

[16] Bergeron c. Promutuel Lac St-Pierre Les Forges, préc., note3.

[17] Cohen c. Lloyds, préc., note 2.

[18] Lacoursière c. Promutuel, 2021 QCCQ 7655.

[19] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 121.

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