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La notion de valeur à neuf en 2017

July 17, 2017

Bien qu’il semble s’agir d’un concept somme toute assez simple et bien circonscrit dans le milieu de l’assurance, les tribunaux québécois et ontarien ont récemment eu à se prononcer sur la notion de valeur à neuf. Voici donc un survol des décisions Gestion Ignièce inc. c. Les Souscripteurs du Lloyd’s[1] et Carter v. Intact Insurance Company[2].

Gestion Ignièce inc. c. Les Souscripteurs du Lloyd’s

Le 13 avril 2017, la Cour supérieure rendait jugement dans l’affaire Gestion Ignièce inc. c. Les Souscripteurs du Lloyd’s, dans le cadre d’un recours institué par les demanderesses en vue d’être indemnisées pour la valeur à neuf de leur bâtiment détruit, du moins en partie, lors d’un incendie. La police émise prévoyait une couverture en valeur à neuf. Le montant d’assurance avait été établi à 1 845 000,00$, suivant l’obtention d’un rapport d’évaluation de la valeur de reconstruction de l’immeuble.

La décision débute par un préambule particulièrement intéressant pour les assureurs :

«Ce qui suit l’illustre : une police d’assurance de dommages n’est pas un guichet à la porte duquel, une fois que le risque couvert se réalise, un assuré se présente pour retirer le maximum des couvertures. Il s’agit plutôt d’un contrat largement encadré par la loi qui attribue des obligations à l’assureur comme à l’assuré dont il revient à chacun d’assumer l’exécution une fois que survient le sinistre.»

  1. L’avenant valeur à neuf

Le Tribunal conclut qu’il est inexact de prétendre, comme le font les demanderesses, que le contrat en valeur à neuf implique d’indemniser l’assuré pour le prix qu’il en coûterait aujourd’hui pour reconstruire le bâtiment, sans égard au montant de l’assurance, ni au fait que la reconstruction ait lieu ou non.

Les demanderesses réclamaient en effet une somme de près de 3 500 000,00$ pour l’immeuble, en plus de 300 000,00$ à titre de troubles, ennuis et inconvénients, alors que le montant d’assurance avait clairement été établi à 1 845 000,00$.

La Cour résume ainsi l’application de l’avenant valeur à neuf :

«Il est difficile d’être plus clair : pour toucher la valeur à neuf, à moins de circonstances exceptionnelles, c’est à l’assuré de procéder à la réparation ou à la reconstruction dans le meilleur délai. À défaut, c’est la valeur dépréciée que l’assureur doit verser. C’est la règle d’or de l’avenant valeur à neuf.»

En ce qui concerne la reconstruction du bâtiment, le Tribunal conclut, conformément au contrat et à la jurisprudence constante, que  «l’assuré ne peut se prévaloir du plein montant de la garantie valeur à neuf sans entreprendre la reconstruction ou la réparation du bâtiment affecté par un sinistre.»

En l’espèce, les démarches de Gestion Ignièce inc. en vue de procéder à la reconstruction de l’immeuble s’étaient limitées à retenir les services d’un expert en sols. Un an après le sinistre, elle n’avait complété aucuns travaux en vue de de sécuriser ou de protéger les lieux, malgré les propositions l’assureur.

  1. Le fardeau de preuve de l’assuré

La Cour retient également que le fardeau de prouver la perte totale du bâtiment repose sur les épaules de l’assuré. Puisque aucune définition de «perte partielle» et de «perte totale» ne figure à la police ou à l’article 2493 C.c.Q., la distinction doit reposer sur les faits propres à chaque dossier, d’où l’importance de la preuve factuelle ou de l’obtention d’une expertise par l’assuré, en cas de litige.

Dans ce cas-ci, ni le rapport du Service de sécurité incendie mentionnant la perte totale de l’immeuble, ni une lettre de la Ville requérant sa démolition n’ont été considérés comme une preuve probante de la perte totale de l’immeuble. Bien que l’expert en sinistre ait fait mention de «perte totale» dans l’une de ses lettres adressée à l’assurée, cette affirmation n’a pu être considérée comme une admission de la part de l’assureur, puisque l’expert en sinistre avait rectifié le tir dans une lettre subséquente, transmise 15 jours plus tard.

La preuve de l’assureur reposait par ailleurs sur le rapport détaillé d’un évaluateur en bâtiment concluant à la perte partielle de l’immeuble et à la possibilité de récupérer les fondations, de même qu’une partie de la structure.

Le Tribunal mentionne toutefois au passage que ce n’est pas parce que l’exercice réalisé par l’assuré suit un «cheminement atypique», que sa demande doit automatiquement être rejetée pour autant.

La perte du droit à l’indemnisation ne survient que lorsque la mauvaise foi de l’assuré est établie, en plus d’un préjudice subi par l’assureur. À défaut, il y a lieu d’indemniser en valeur dépréciée, selon la preuve disponible. À cet égard, l’article 2471 C.c.Q. prévoit clairement qu’il revient à l’assuré de faire connaître à l’assureur le montant des dommages, de fournir les pièces justificatives et d’en attester la véracité.

  1. La renonciation de l’assureur

L’assuré peut toutefois faire la preuve d’une renonciation de l’assureur à recevoir une preuve complète de sa perte, renonciation qui doit être non équivoque. En l’espèce, en ce qui concerne la perte partielle du bâtiment seulement, le Tribunal a conclu qu’il y avait eu renonciation des assureurs à une preuve complète des dommages.

Les assureurs avaient eux-mêmes reconnu que les demanderesses avaient droit à une indemnité en valeur dépréciée et consenti des avances de plus de 600 000,00 $, sur la base des évaluations qu’ils avaient obtenues.

Malgré la preuve laconique, la Cour a donc octroyé à l’assurée la valeur dépréciée de sa réclamation, en déduisant les avances déjà versées, de même que les sommes consignées par les assureurs auprès du Ministère des Finances du Québec, en vue de l’audition.

Carter v. Intact Insurance Company

Du côté de l’Ontario, à la fin de l’année 2016, la Cour d’appel a également eu à traiter de la question de la notion de valeur à neuf, ou replacement cost, cette fois-ci dans le cadre d’un litige concernant la garantie de remplacement par un nouvel immeuble «de type et de qualité semblable». Le 1er juin 2017, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel présentée par  les assurés.[3]

Il s’agissait d’une propriété constituée d’un ensemble d’immeubles variant entre 1 et 3 étages. 15 unités étaient affectées à un usage résidentiel et 13 unités à un usage commercial.  À la suite d’un incendie, la propriété a été démolie par les assurés, dans le but de procéder à la construction d’une seule tour comptant un peu plus de 8 étages.

Malgré l’émission d’un avenant en valeur à neuf, l’assureur Intact a refusé d’indemniser les assurés pour la reconstruction de l’immeuble telle qu’envisagée, puisqu’il ne s’agissait pas d’une «new property of like kind and quality». L’indemnité qu’Intact entendait verser correspondait à la valeur de l’immeuble au jour du sinistre. Également, bien qu’un avenant devait couvrir les améliorations requises pour respecter le Code du bâtiment en vigueur lors de la reconstruction, aucune compensation n’a été versée par Intact pour la mise aux normes de l’édifice.

Les assurées prétendaient que le juge de première instance avait erré en droit en concluant que leur projet ne justifiait pas le versement de la valeur à neuf et qu’aucune somme ne devait être versée par Intact pour compenser les coûts liés au respect des nouvelles dispositions du Code du bâtiment.

L’un des arguments avancés par les assurées consistait à prétendre que, même si elles construisaient un immeuble beaucoup plus spacieux et différent du bâtiment initial, les obligations d’Intact se limitaient à la définition de replacement costs contenue à la police. Dans cette optique, leur réclamation se limitait à l’équivalent de la valeur de reconstruction de leur ancien immeuble et ne s’étendait évidemment pas aux coûts réels de la reconstruction du nouvel immeuble projeté. Il n’y avait donc pour eux aucun motif de leur refuser la valeur à neuf.

L’objectif du concept de la valeur à neuf est de permettre à un assuré de reconstruire un bâtiment identique en cas de perte, ce qui est souvent impossible lorsque l’indemnité est limitée à la valeur dépréciée, puisque l’assuré doit alors avoir les moyens d’assumer financièrement le montant équivalant à la dépréciation. C’est la dépréciation en question qui devient ainsi le risque assurable par cet avenant.

La notion de replacement, prévue à la clause 4 de l’avenant valeur à neuf, inclut les «repair, construction or re-construction with new property of like kind and quality». Quant aux replacement costs, ils étaient définis ainsi : «whichever is the least of the cost of replacing, repairing, constructing or re-constructing the property on the same site with new property of like kind and quality and for like occupancy without deduction for depreciation».

La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel et conclu que la définition de replacement au contrat n’était pas ambigüe et correspondait au standard dans l’industrie. Il a donc été établi que les assurées ne pouvaient avoir droit à la valeur à neuf, à moins de procéder à la reconstruction d’un immeuble du même type et de la même qualité que celui qu’ils possédaient avant le sinistre. Puisque tel n’était pas leur objectif, ils n’avaient droit qu’à la valeur au jour du sinistre de l’immeuble assuré.

Cette conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario semble aller à l’encontre d’une décision rendue en 1990 par la Cour suprême de Colombie Britannique dans l’affaire Chemainus[4]. La Cour d’appel écarte toutefois cette décision au motif que, bien que le libellé des polices soit semblable, la décision a été rendue il y a plus de 25 ans et n’a jamais été analysée et confirmée  par un tribunal d’appel.

Quant à la question la mise aux normes de l’immeuble, la Cour retient que le droit à cette indemnité doit également suivre le même raisonnement, de sorte qu’il doit y avoir réparation ou remplacement effectif de l’immeuble par une construction de type et de qualité semblable pour que la couverture soit enclenchée.

 


[1]2017 QCCS 1410.

[2]2016 ONCA 917 (CanLII).

[3] Helene Carter, et al. c. Intact compagnie d’assurance, 2017 CanLII 32943 (CSC).

[4] Chemainus Properties Ltd. v. Continental Insurance Co. (1990), 43 C.C.L.I. 146.

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