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La Faute Lourde en Matière de Responsabilité Professionnelle : Une Question Récemment Étudiée Par La Cour D’Appel du Québec

May 26, 2014

Le 29 mars 2011, la juge Line Samoisette de la Cour supérieure du Québec a rendu une décision1 qui a provoqué un réel tsunami dans le milieu juridique ainsi qu’auprès des assureurs responsabilité professionnelle. Cette décision, qui rejetait une réclamation contre l’assureur E&O d’un planificateur financier au motif de faute lourde, vient d’être renversée en appel.

Plus particulièrement, la Cour d’appel du Québec2 a refusé d’assimiler la faute lourde à de l’incompétence marquée et a condamné l’assureur responsabilité professionnelle à indemniser un couple néophyte en matière de placements, lequel avait subi des pertes importantes suite aux conseils douteux de leur planificateur financier.

Nous proposons d’abord une revue des faits entourant cette affaire, pour ensuite analyser les décisions de la Cour supérieure et de la Cour d’appel.

Les Faits

Le planificateur financier rencontre les demandeurs en 1992. Ces derniers présentent alors une faible tolérance au risque et une faible connaissance en matière d’investissements. Ils ont alors un profil d’investisseur de type conservateur.

Au fil des ans, le planificateur financier leur a proposé divers investissements, parmi lesquels on retrouvait des prêts à effet levier. Ces investissements tirent leur source des actifs personnels du couple, de même que des liquidités de leurs entreprises.

Pendant plusieurs années, les demandeurs se sont fiés entièrement aux conseils prodigués par leur planificateur financier, souhaitant pouvoir jouir d’une retraite aisée.

Le planificateur financier leur conseille notamment d’investir dans le fonds Balance Return Fund (BRF) dont l’émetteur est Norshield International (Norshield), laquelle a son siège social aux Bahamas. Il leur indique qu’il s’agit d’une compagnie de placement qu’il connaît, que ce fond est sécuritaire et les rassure en affirmant que le capital et le rendement sont garantis.

Le planificateur financier leur conseille également de retirer des sommes de leurs portefeuilles de type REER pour investir dans MRACS Management Ltd. (MRACS), une société liée au groupe Mount Real.

Les demandeurs ne savent pas que MRACS et BRF étaient des sociétés interreliées et que les placements effectués au sein de ces entreprises sont risqués.

Au printemps 2006, MRACS fait faillite. BRF n’a pas fait faillite, mais les demandeurs tentent, en vain, de récupérer leurs investissements.

Ayant subi d’importantes pertes, les demandeurs ont intenté une action contre le planificateur financier, la firme qui l’employait ainsi que leur assureur aux termes d’une police E&O, réclamant des dommages d’un peu plus de 600 000 $.

Or, puisque le planificateur financier et la firme pour laquelle il travaillait ont fait une cession de biens, seul l’assureur pouvait permettre aux demandeurs d’obtenir un dédommagement.

Jugement de la Cour Supérieure

L’Honorable Line Samoisette conclut que le planificateur financier a commis une faute pour ne pas avoir agi de façon prudente et diligente. Plus particulièrement, elle juge qu’il a fait fi du profil d’investisseur des demandeurs en choisissant des produits qui ne leur convenaient pas, en plus de ne pas les avoir correctement informés des rendements et des risques associés à leurs placements. De plus, il aurait commis une faute additionnelle, soit d’avoir excédé les limites du permis qu’il détenait, à titre de planificateur financier.

Bien qu’il y ait eu la commission de deux fautes concurrentes, dont l’une est couverte par la police d’assurance, la juge retient que ce sont néanmoins les mauvais conseils du planificateur financier qui ont causé la perte des demandeurs.

La juge considère que le planificateur financier a utilisé sa relation de confiance avec les demandeurs pour les pousser à investir la quasi-totalité de leurs avoirs dans des placements hautement risqués, sachant qu’ils n’avaient pas de connaissance en cette matière et que leur tolérance au risque était faible. Par ses conseils, le planificateur financier a fait fi du profil d’investisseur des demandeurs et les a induits en erreur en prétendant que leurs placements seraient garantis. Ce faisant, la juge conclut que le planificateur financier a contrevenu de façon grossière et inexcusable à ses obligations en la matière et a qualifié de lourde la faute qu’il avait ainsi commise.

La réclamation contre l’assureur a donc été rejetée par la juge de première instance, qui a appliqué l’exclusion pour faute lourde que l’on retrouvait dans la police d’assurance.

Jugement de la Cour d’Appel

La Cour d’appel du Québec a unanimement infirmé la décision rendue en première instance, en concluant que la faute du planificateur financier était couverte par l’assurance E&O.

En effet, la Cour indique qu’il est manifeste que le planificateur financier a exercé son métier d’une manière déficiente à plusieurs égards, mais selon elle, il s’agit d’une forme marquée d’incompétence et non pas une faute lourde.

La Cour aurait conclu à la faute lourde du planificateur financier s’il n’avait pas apporté aux affaires des demandeurs ce que même la personne la moins soigneuse et la plus stupide aurait apporté à ses affaires. La faute lourde est donc un comportement légèrement mieux que celui d’une personne irresponsable et manquant de jugement.

Toujours selon la Cour d’appel, atténuer la notion de faute lourde en l’associant à des comportements qui n’atteignent pas le degré d’insouciance, d’imprudence et de négligence grossière requis, contreviendrait au principe de droit commun selon lequel il convient d’interpréter la garantie d’assurance de manière large et les exclusions, de manière étroite.

Compte tenu qu’au moment où il conseillait ses clients, le planificateur financier s’efforçait de maximiser leurs gains, la Cour estime donc que la juge de première instance a erronément conclu à l’existence d’une faute lourde.

Cette décision de la Cour d’appel du Québec rappelle l’importance de la qualification de l’intensité d’une faute, au moment de la prise du recours.

En effet, de nombreuses polices d’assurance prévoient une exclusion de couverture pour un tel type de faute, particulièrement en matière d’assurance responsabilité professionnelle. Ainsi, une décision qui retiendrait la faute lourde d’une partie est susceptible de priver cette dernière de la couverture d’assurance ce qui risque d’entraîner des difficultés au moment de l’exécution du jugement.

1 – Larrivée c. Proteau, 2011 QCCS 1395

2 – Larrivée c. Murphy, 2014 QCCA 305

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