Dans le récent arrêt Wärtsilä Canada Inc. c. Transport Desgagnés Inc., 2017 QCCA 1471, la Cour d’appel du Québec a statué que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en concluant que le contrat entre les parties était régi par le Code civil du Québec, et non par le droit maritime canadien. Par conséquent, elle a réduit le montant des dommages-intérêts accordés, qui est passé de 5 661 830,33 $ à 78 900 $, afin de tenir compte du caractère exécutoire de la garantie et de la clause de limitation de responsabilité afférente.
Le différend opposait l’exploitant d’une flotte de marine marchande canadienne et ses assureurs maritimes à un fabricant et fournisseur hollandais de systèmes de propulsion marins relativement aux dommages subis par un navire, le MV Camilla Desgagnés, à la suite de la panne du moteur principal survenue en 2009. Il convient de noter que les faits en cause n’étaient pas contestés, pas plus que le préjudice subi par les intimées, qui a été admis à 5 661 830,33 $. Il a également été reconnu que la panne était attribuable au serrage insuffisant d’une bielle d’un des pistons fixés à l’arbre à vilebrequin.
Toutefois, les parties ne s’accordaient pas pour dire si le serrage insuffisant était le fait des employés de l’usine des appelantes au moment de l’assemblage ou le fruit d’une intervention postérieure des employés des intimées. À cet égard, la Cour d’appel a statué que la juge n’avait pas erré dans son appréciation des faits en concluant que les biens fournis par les appelantes présentaient un vice caché qui les rendait impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.
Les parties étaient également en désaccord quant à savoir si le contrat relevait du droit civil ou du droit maritime canadien et, de ce fait, si certaines clauses contractuelles limitant la période de garantie à six mois et la responsabilité du fournisseur s’appliquaient.
La mise en application du droit civil québécois a eu une incidence déterminante dans cette affaire, puisqu’au Québec, le Code civil prévoit que le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vice caché. Le Code civil précise en outre que, pour être pris en considération, le vice doit être présent au moment de la vente, sérieux et caché ou inconnu de l’acheteur au moment de la vente.
Par ailleurs, dans les affaires impliquant un distributeur, un fabricant ou un « vendeur professionnel » au sens du Code civil du Québec, deux présomptions légales importantes s’appliquent. Il est présumé, d’une part, que le vice existait au moment de la vente et, d’autre part, que le vendeur professionnel, le distributeur ou le fabricant connaissait le vice au moment de la vente.
De plus, le vendeur ne peut exclure ni limiter sa responsabilité contractuelle, sauf s’il a révélé à l’acheteur les vices qu’il connaissait ou qu’il ne pouvait ignorer. Compte tenu des présomptions précédentes, un vendeur professionnel ou un fabricant ne peut donc pas se prévaloir de la clause d’exclusion ou de limitation de responsabilité, à moins de pouvoir réfuter ces présomptions.
Ces règles diffèrent sensiblement de celles qui ont cours en common law. En effet, les conclusions sont tout autres si l’on applique le droit maritime canadien, puisqu’en common law, c’est à l’acheteur de démontrer que le vendeur était conscient du vice caché ou qu’il a fermé les yeux sur un vice dont il aurait dû être conscient. De plus, aucune règle particulière ne concerne les vendeurs professionnels, comme c’est le cas au Québec, et les vendeurs sont protégés par une limitation contractuelle de responsabilité, sauf si les modalités sont jugées abusives ou que le non-respect de l’obligation visée par cette limitation contrevient foncièrement à l’entente.
Le juge de première instance a conclu que les questions relatives aux obligations découlant de la vente d’un moteur de navire n’étaient pas uniquement d’ordre maritime. En soi, le contrat était un simple contrat de vente conclu à Montréal et relevait donc des règles de droit civil.
Toutefois, la Cour d’appel a vu les choses autrement en se reportant aux sous-alinéas 22(2)(m) et (n) de la Loi sur les Cours fédérales, qui stipulent qu’une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, ou une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d’équipement d’un navire relève de la compétence de la Cour fédérale en vertu du droit maritime canadien. Selon la Cour d’appel, ne pas se référer à ces sous-alinéas revient à analyser la question de l’applicabilité du droit maritime « dans le vide » et à commettre par conséquent une erreur de droit.
En décidant d’écarter le Code civil du Québec en faveur du droit maritime canadien, la Cour d’appel a rendu la clause de limitation de responsabilité exécutoire, de sorte que la responsabilité de Wärtsilä a été limitée à 50 000 €, soit 78 900 $ CA. Si le droit maritime canadien n’avait pas trouvé application (de fait, un juge dissident était d’avis qu’il ne devait pas s’appliquer), la décision de la juge de première instance aurait été accueillie dans son intégralité et, malgré l’existence d’une clause contractuelle de limitation de responsabilité, les appelantes auraient été tenues d’acquitter le plein montant des dommages-intérêts.
Cet écart monumental entre les dommages-intérêts accordés illustre non seulement la différence fondamentale entre les règles de common law et les règles de droit civil relativement à la clause de limitation de responsabilité, mais aussi à quel point cette considération peut s’avérer déterminante.